Bourses d’études 2000
BOURSES D’ÉTUDES PREMIER EMPIRE
- David CHANTERANNE : Frédéric Masson (1847-1923). Une vie bonapartiste, une ouvre napoléonienne (Premier Empire)
Thèse placée sous la direction du professeur Jean Tulard
Paris IV-Sorbonne
Frédéric Masson (1847-1923) ne laissa pas indifférents ses contemporains. Pour Eugène Rouher, son « érudition », son « talent supérieur d’écrivain », son « labeur » prouvaient « une conduite courageuse et dévouée ». Pour le Prince Victor, alors chef de la famille impériale, les « idées » qu’il avait « défendues toute [sa] vie, et qui [avaient] suscité contre lui les inimitiés » furent courageuses et exemplaires. Certains comme Robert de Flers, le jugèrent « cordial, hérissé, injuste, tumultueux, généreux, passant sans transition de la fureur à la bonté […] comme le grognard de l’Histoire » ; d’autres, comme l’historien Georges Lecomte, se souvinrent davantage « avec quelque inquiétude [de] sa stature, l’acuité de son regard, sa verve fougueuse et bourrue ». Ce « bonapartiste dans les moelles » comme l’a qualifié Gabriel Hanotaux, légua à la postérité une série d’études napoléoniennes qui comptent parmi les plus exhaustives et passionnantes de la période comprise entre l’après-défaite de 1870 et l’avant-guerre 1914-1918. Tout comme les conditions familiales et les circonstances politiques dans lesquelles évolua Frédéric Masson, il est indispensable d’étudier son parcours professionnel au ministère des Affaires étrangères, son engagement politique au lendemain de Sedan, son mariage avec Marguerite Cottin (fille de l’ancien chef de cabinet d’Eugène Rouher), son poste de secrétaire particulier du Prince Napoléon, l’occupation pendant vingt-cinq ans de la fonction de maire de la commune d’Asnières-sur-Oise, ou encore du poste de secrétaire perpétuel de l’Académie française. Peu nombreuses ont été aussi les études relatives à ses articles politiques parus dans La Presse, L’Ordre, Le Napoléon et La Patrie, dans les colonnes de L’Écho de Paris, Le Peuple, Le Gaulois, Le Correspondant, ou dans des revues comme La Revue des Deux Mondes, La Revue des Études Napoléoniennes, Le Figaro illustré, etc.A partir de l’étude d’une bibliographie rare, mais aussi de sources manuscrites et imprimées assez abondantes, des propres manuscrits et des collections de l’historien lui-même, il s’agira de saisir, à travers donc cette vie bonapartiste et cette oeuvre napoléonienne, les caractères plus généraux d’une historiographie non universitaires assez peu étudiée, ainsi que les conditions politiques, sociales, économiques et culturelles dans lesquelles Frédéric Masson, fils d’un avoué parisien mort pendant les événements de 1848, a pleinement réussi à se réaliser, et devint, en 1919, secrétaire perpétuel de l’Académie française. Le projet de recherche s’appuiera notamment sur les sources suivantes : si le travail d’écrivain de Frédéric Masson a été bien étudié (Sorel, Cahuet, Rageot, Grandmaison), sa collection de livres (70 000 ouvrages), de dessins, et d’objets d’art (40 000 estampes et gravures par exemples), conservée à la Bibliothèque de la Fondation Dosne-Thiers, est encore peu connue. La bibliothèque Thiers conserve également la majeure partie des archives privées de l’historien, classées par Henri Mallo, responsable de la bibliothèque Thiers au moment de la mort de Masson, et complétées depuis 1999 par de nouvelles archives déposées par Madame Bellaigue. La correspondance de Masson, avec son confrère académicien Maurice Barrès, mais aussi avec de grands personnages du monde culturel et politique, est conservée à la bibliothèque Thiers mais aussi à la Bibliothèque nationale de France (fonds Bazin), les Archives centrales de Russie à Moscou (correspondance avec le grand-duc Nicolas Mikhaïlovitch, historien et collectionneur) et la Bibliothèque slave de Meudon, ainsi qu’à l’Association des Amis de Frédéric Masson (correspondance avec la famille impériale). Ses échanges épistolaires avec ses différents collègues de travail sont pour l’essentiel conservés aux Archives des Affaires étrangères (avant 1879). Quant à ses autres confrères de l’Académie française, leurs correspondances avec le spécialiste de Napoléon sont à consulter à la Bibliothèque de l’Institut ainsi que dans les différents centres d’archives qui leur sont plus particulièrement consacrés. Les papiers du Prince Napoléon, donc sa correspondance avec celui qui fut son secrétaire dès 1879, forment aujourd’hui plusieurs liasses du fonds 400 AP des Archives nationales. Enfin, chose assez rare pour être soulignée, les archives municipales d’Asnières-sur-Oise conservent l’intégralité des décrets et comptes rendus des conseils municipaux auxquels Frédéric Masson participa ou qu’il présida. Un inventaire et une étude complémentaire seront à effectuer auprès des services de la ville et permettront de connaître très précisément les actions du conseiller municipal, puis du maire bonapartiste pendant trente-huit ans entre 1874 et 1912. - Marie DINELLO-GRAZIANI : Un grand collectionneur : le cardinal Fesch. La collection de peintures (Premier Empire)
Thèse placée sous la direction du professeur Daniel Rabeau
Paris I-Panthéon-Sorbonne
Notre projet de recherche concerne une collection prestigieuse, réunie entre la fin du XVIIIe et le début du XIXe siècle par le Cardinal Joseph Fesch. Son histoire est liée à l’épopée napoléonienne puisque Fesch était le demi-frère de Letizia Bonaparte, la mère de Napoléon. Homme d’église, il est happé par la tourmente révolutionnaire et fuit la Corse en même temps que la famille Bonaparte en 1793. Son destin est mêlé à celui de Napoléon Bonaparte puisqu’il accédera, au fil de l’ascension de son neveu, aux plus hautes fonctions religieuses et politiques en qualité d’archevêque de Lyon (1802), de cardinal (1803), d’ambassadeur près le Saint Siège à Rome (1803-1806) et de Grand Aumônier de l’Empire (1805). Il accumulera ainsi les titres honorifiques jusqu’en 1811. La chute de l’Empire le contraint, comme l’ensemble de la famille Bonaparte, à l’exil qui le conduira à Rome.Notre intérêt pour sa collection de peintures s’inscrit dans la continuité de nos travaux universitaires sur les peintures du musée puis des églises de Bastia qui renferment quelques belles toiles de Fesch. Dispersée après la mort du Prélat, la collection Fesch n’en finit pas de fasciner. De nombreux historiens de l’art s’y sont intéressés publiant des articles et études ponctuelles (1) sans qu’aucun travail approfondi d’ensemble de la collection n’ait jamais été réalisé. L’étude la plus complète que nous possédons à ce jour étant l’introduction écrite par Dominique Thiébaut dans le catalogue des Primitifs italiens du musée Fesch d’Ajaccio en 1987 (2).Si la collection Fesch est souvent qualifiée d’exceptionnelle (3) en raison de l’importance des chefs d’oeuvres qu’elle renfermait, elle n’est pas à l’abri de controverses. De son vivant déjà, le cardinal Fesch comptait parmi ses plus acerbes détracteurs son neveu Lucien Bonaparte. Également distingué collectionneur, ce dernier n’hésitait pas à critiquer le manque de discernement et de connaissances de son oncle considérant que sa passion dégénérait volontiers en « tableaumanie » : « Pour résumé impartial du mérite de cet assemblage, disons ce que nous avons vérifié nous-mêmes, savoir vingt à vingt cinq tableaux des premiers maîtres italiens, une cinquantaine de maîtres de second ordre, une trentaine de superbes flamands, une centaine peut-être de bons tableaux de différentes écoles espagnole, française ou allemande ; tout le reste copies avérées ou très médiocres originaux, ou même tout à fait mauvais, justement relégué dans les greniers de cinq ou six maisons loués exprès pour le logement de cette galerie monstre, pour sa quantité et pour sa qualité. »(4). L’ampleur de la collection qui aurait renfermée, selon les auteurs, entre trente mille (5) et vingt mille (6) tableaux est certainement une des questions qui donne le plus lieu à controverse. De nos jours encore, le cardinal Fesch est quelquefois présenté comme « un collectionneur qui ne sait ni limiter, ni assouvir sa passion et dont le seul plaisir est celui d’amasser » (7)
Notre objectif sera de comprendre pour quelles raisons la collection Fesch suscite toujours autant de passions et d’avis partagés.À partir du contexte familial, politique et philosophique de l’époque, nous essaierons d’exposer les conditions dans lesquelles cette collection a été réunie (1ère partie).
L’étude des catalogues de ventes de la galerie ainsi que l’inventaire après décès des biens du cardinal établi à Rome par ses exécuteurs testamentaires (8) permettra de définir plus précisément le contenu et le caractère de cette collection (2e partie).
Ainsi nous sera-t-il permis de mieux appréhender la personnalité du cardinal Fesch collectionneur et de conclure sur les éléments qui sont, à notre avis, les qualités intrinsèques d’un collectionneur, les connaissances et surtout un « oeil » capable de reconnaître au milieu d’un ramassis de toiles médiocres, le chef-d’oeuvre d’hier ou de demain (3e partie).
Notre analyse sera appuyée et accompagnée d’un certain nombre d’annexes : des chronologies détaillées de la vie du cardinal Fesch et des principaux événements de son temps, un répertoire permettant de localiser les principales peintures de la collection Fesch aujourd’hui, un choix d’illustrations et enfin une transcription de l’inventaire après-décès des peintures du cardinal Fesch qui demeure le document le plus exhaustif de sa galerie et permettra de faciliter toute recherche future.
M. D.-G.
(1) Par exemple, J. Thuillier, « Les tableaux du cardinal-oncle », inL’oeil, n°34, oct.1957, pp.32-41 et D. Carrington, « Cardinal Fesch, a Grand Collector », in Appolo, n°69, nov.1967, pp.346-357.
(2) D. Thiébaut, Ajaccio, le musée Fesch, les Primitifs italiens, éd. RMN, Paris, 1987.
(3) F. Haskell, La Norme et le caprice, redécouvertes en art, 2ème éd. Flammarion, Paris, 1986, p.68.
(4) Th. Iung, Mémoires de Lucien Bonaparte, Paris, 1882, t.1, p.113.
(5) L’Abbé Lyonnet, Le cardinal Fesch, Archevêque de Lyon, Primat des Gaules, Librairie Perisse Frères Lyon, Paris, 1841, t.2, p.706.
(6) Th. Iung, op.cit.
(7) B. Edelein Badie, La collection de tableaux de Lucien Bonaparte, prince de Canino, éd. RMN, 1997, p.71.
(8) Rome, Archivio di stato, not.Capitol ufficio 11, Not.Augusto Appolino, anno 1839, vol.609, fol.34 r à 503 v. - Philippe ROY : Les hôpitaux militaires fixes dans la France du Premier Empire (1804-1814) (Premier Empire)
Thèse placée sous la direction du professeur Jean Tulard
Ecole Pratique des Hautes Etudes
Les origines du Service de Santé militaire remontent à Sully. Il eut l’idée de cette création à la suite du siège d’Amiens en 1597 qui fit de nombreuses victimes. Une « Maison des blessés » fut alors instituée le 1er juin de la même année. Puis Louis XIII, par une ordonnance de janvier 1629, poursuivit cette démarche en décidant la mise en place des premiers hôpitaux militaires sédentaires. Cette institution prit véritablement forme sous le règne de Louis XIV par l’édit du 17 janvier 1708, le Service de Santé militaire fut alors composé d’un corps permanent d’officiers de santé. A partir de 1717, quelque soit la nature de ces hôpitaux, ambulants, temporaires ou fixes, ils vont être placés sous le contrôle administratif des Ordonnateurs et Commissaires des guerres (1). L’organisation du Service de Santé des Armées connut d’importantes modifications que ce soit pendant la période révolutionnaire, le Directoire ou encore le Consulat. Les dispositions qui furent prises renforcèrent très nettement le pouvoir des Ordonnateurs et Commissaires des guerres et ce, au détriment des chirurgiens, des médecins et des pharmaciens des Corps de Santé des Armées, constitués alors de deux services, celui de l’Armée de Terre et celui de la Marine (le projet de les réunir en une entité, suivant l’arrêté du 6 brumaire an III, fut abandonné par la Convention) (2). Au début de l’Empire, le 18 mai 1804, l’organisation du Service de Santé de l’Armée de Terre reposera sur les dispositions prévues par les règlements du 3 ventôse an II, du 30 floréal an IV, du 24 thermidor an VIII et sur celles de l’arrêté du 9 frimaire an XII. Quant à l’organisation du Service de Santé de la Marine, elle dépendra des dispositions prévues par les deux arrêtés consulaires du 4 germinal an VIII et de celles prévues par l’arrêté du 17 nivôse an IX. Cet ensemble de décisions accentuera l’état de dépendance des officiers de santé des deux Services à l’égard d’une administration dont les structures constitueront une réelle entrave aux réformes souhaitées par les officiers de santé, notamment les barons Percy et Larrey, pour ce qui est de l’Armée de Terre, et de Keraudren, Inspecteur général du Service de Santé de la Marine (3).Les hôpitaux militaires sous l’Empire sont répartis en trois grands ensembles : ceux qui sont qualifiés d’ambulants, puis les temporaires et enfin, les permanents. Dénominations qui trouvent leur justification au regard de la distance qui sépare l’hôpital du lieu où sont localisés les blessés et de la nature des soins à apporter.
Ce travail de recherche portera principalement sur les hôpitaux militaires de l’Armée de Terre et de la Marine, établissements dits « permanents » alors présents sur l’ensemble du territoire français sous le Premier Empire, en se conformant aux limites actuelles de notre territoire et en n’intégrant pas les établissements situés en dehors de ses frontières.
Plusieurs fonds vont être utilisés, ceux des Archives nationales (y sont inclus les fonds des départements et ceux versés par le Service Historique de la Marine), ceux du Musée du Service de Santé des Armées (Val-de-Grâce), ou encore ceux du Service Historique de l’Armée de Terre (Château de Vincennes). Enfin, ce travail de recherche s’appuiera sur une bibliographie abondante sur la question, qu’il s’agisse d’ouvrages de contemporains de la période napoléonienne ou d’auteurs plus récents.
Sous l’Empire les Services de Santé se trouvent investis de la mission générale de prendre en charge le blessé ou le malade sur le champ de bataille, de le traiter jusqu’à cicatrisation, de le rendre aux Armées s’il reste apte à servir, et dans une certaine mesure de continuer à l’assister s’il est incurable (4). Dans cette mission générale, le rôle des établissements hospitaliers de l’Armée de Terre et de la Marine est fondamental. Malgré cela, et malgré l’âpreté des combats, leur nombre ne cesse de diminuer : de 50 après l’Édit de 1708, on passe à 30 avec le règlement du 24 thermidor an VIII, puis à 16 avec celui du 16 frimaire an IX, enfin à 28 hôpitaux installés recensés en 1814. Parallèlement à cette diminution de moitié du nombre d’établissements sur environ un siècle, on assiste également à une réduction du nombre des effectifs du personnel alors que le nombre de blessés augmente tout au long de l’Empire (5).
Cette étude des infrastructures hospitalières fixes des Services de Santé de l’Armée de Terre et de la Marine portera sur les trois aspects essentiels qui les caractérisent.
Tout d’abord, l’étude de l’organigramme des administrations hospitalières devrait révéler la prépondérance des Ordonnateurs et Commissaires des guerres, que ce soit à l’échelon parisien, dépendant du Ministère de l’Administration de la Guerre et de certains de ses services (Bureau des hôpitaux, Inspection générale du Service de Santé de l’Armée de Terre, Directoire central des hôpitaux militaires), comme à l’échelon local où la gestion des établissements dépend du Conseil d’administration propre à chacun d’eux. Pour le Ministère de la Marine et des Colonies, seront évoquées les tâches de la première et de la Cinquième Divisions, l’action du Service des vivres et des hôpitaux ainsi que les missions de l’Inspection générale du Service de Santé de la Marine. Pour ce qui est des hôpitaux militaires de la Marine, seront étudiés les Conseils de Santé des ports.
Ensuite, le personnel hospitalier sera analysé, de la phase de recrutement jusqu’à l’exercice de la profession, en passant par l’étude de sa formation rendue difficile par la disparition sous le Consulat des hôpitaux militaires d’instruction de l’Armée de Terre, tandis que les Ecoles de médecine et de chirurgie navale sont, elles, maintenues. Le quotidien des médecins, des chirurgiens et des pharmaciens sera explicité, alors qu’ils sont entourés d’autres catégories de personnel, infirmiers militaires, religieuses des hôpitaux de charité et du personnel civil des hôpitaux publics. Les effectifs des deux Services de Santé ne cessant de diminuer, les préfets seront contraints de recruter, souvent dans l’urgence, des praticiens venus du civil.
Enfin, seront abordées les missions de soutien des Corps de Santé auprès des forces armées et ce, des champs de bataille au retour au foyer. Durant ces conflits qui sont essentiellement terrestres, les maladies favorisées par les mauvaises conditions sanitaires, et les blessures souvent mutilantes, sont nombreuses et diverses. Pour agir efficacement, une chaîne d’évacuation sanitaire bien organisée s’avère primordiale, organisée autour des hôpitaux ambulants directement au contact des victimes, des hôpitaux temporaires le plus souvent destinés aux malades contagieux, puis des hôpitaux militaires fixes du territoire. Les nouvelles techniques de guerre et les dommages qu’elles provoquent, vont amener les Services de Santé à s’adapter et à innover : évacuation des blessés, soins d’urgence comme les amputations, mesures d’hygiène et prévention des maladies. Innovations qui trouveront de nombreuses applications dans le civil. Dernier aspect de cette « tragédie humaine », les soldats invalides sont également assistés par les Services de Santé de l’Armée de Terre et de la Marine, et reçoivent une pension ainsi que leur famille.
I.D.
(1) Tulard (J.) (dir.), Dictionnaire Napoléon, Paris, Fayard, 1987. Nouvelle édition en 1999, 2 vol. Article de M. Hubert Bourgeois « Santé, Service de Santé militaire », T. II, pp. 722-725
(2) Comité d’Histoire du Service de Santé, Histoire de la médecine aux Armées, 3 vol., T. II : De la Révolution au premier conflit mondial, Limoges, Lavauzelle, 1984, 491 p., p. 17
(3) Ibidem. Chapitre premier, pp. 3-44, chapitre second, p. 64
(4) Comité d’Histoire du Service de Santé, Histoire de la médecine aux Armées, 3 vol., T. II : De la Révolution au premier conflit mondial, Limoges, Lavauzelle, 1984, 491 p., « Avant-propos »
(5) Ibidem. Chapitre premier, pp. 3-44, chapitre second, pp. 45-82 et chapitre troisième, p. 85
BOURSES D’ÉTUDES SECOND EMPIRE
- Pierre-Olivier DOUPHIS : Paul Chenavard (1807-1895), dessinateur (Second Empire)
Thèse placée sous la direction du professeur Bruno Foucart
Paris IV-Sorbonne
L’artiste d’origine lyonnaise Paul Chenavard est l’un des personnages de la sphère culturelle les plus éminents du XIXe siècle, bien qu’il doive surtout sa reconnaissance à sa culture encyclopédique et à sa verve de causeur, plutôt qu’à sa production artistique. Il faut cependant mettre à son actif son imposant projet de décoration de l’intérieur du Panthéon de Paris en 1848, projet qui fut rejeté car les thèmes que l’artiste abordait déplurent au puissant parti clérical. Celui-ci monnayait alors son soutien au Coup d’Etat contre le retour du bâtiment de Soufflot au culte. On peut ainsi assurer que le rejet du projet de Chenavard du Panthéon n’est pas le fait du futur Napoléon III qui n’avait aucune récrimination contre le travail de l’artiste. Quelques années plus tard en effet, Chenavard reçoit la Légion d’honneur en juillet 1853, à la suite du Salon où sont exposées cinq de ses toiles du Panthéon, peut-être comme une compensation.Cette éviction du Panthéon, survenue peu de jours après le 2 décembre 1851, a beaucoup affecté Chenavard. Cependant, s’il abandonne la peinture, il n’en continue pas moins de créer. En effet le Second Empire est pour lui une période de projets de sculptures et d’architectures voire même de travaux publiques, souvent en lien direct avec les grands travaux du baron Haussmann dans la capitale.Ainsi dès 1853, il propose avec le sculpteur Jean-Auguste Barre (médailliste et sculpteur officiel de la famille impériale) le couronnement de l’Arc de triomphe de l’Etoile avec une représentation de Napoléon Ier en vainqueur dans un quadrige accompagné de la Gloire et de la Renommée et de ses trois frères et de son beau-frère Murat. À la même époque il désire faire bâtir un autre arc de triomphe dédié à la gloire civile et industrielle sur la place du trône. Dans son esprit, les deux arcs forment les deux portes principales de la ville et sont reliés par l’un des bras de la « grande croisée » percée par Haussmann.
Au cours des années 1860, il propose de faire de Paris un port de mer en creusant un canal de Dieppe à Paris. Ce projet est sa marotte jusqu’à sa mort et dans les années 1870, il le fait même évoluer en prolongeant le canal jusqu’à la Méditerranée. A Lyon ce canal croiserait un autre venant d’Allemagne jusqu’à l’Atlantique. Dans son esprit ces canaux serviraient à faire de la France une grande puissance économique, moins refermée sur elle-même.
Au cours du Second Empire, il propose quelques autres sculptures commémoratives, à installer sur des tombeaux de grands hommes ou sur des places publiques. C’est le cas en 1858, d’un édicule à François Arago pour sa sépulture au cimetière du Père Lachaise, puis en 1862 d’un monument aux frères De Maistre à Chambéry.
Aucun de tous ces projets n’a été réalisé et leur connaissance nous est permise par quelques dessins et témoignages écrits. Si aucun des chercheurs précédents ne les a réellement pris en compte, ils permettent pourtant de connaître une facette différente de l’artiste Paul Chenavard, non plus seulement peintre mais aussi créateur de monuments. D’ailleurs, le peu de toiles peintes par Chenavard est compensé par un nombre beaucoup plus important de dessins qui présentent pour la plupart des projets de tableaux non exécutés. C’est en particulier le cas d’une composition dessinée datant de 1831 et représentantMirabeau apostrophant le marquis de Dreux-Brézé, exécutée à l’occasion d’un concours organisé par Louis-Philippe pour décorer l’Assemblée nationale. Dans sa jeunesse, l’artiste s’est beaucoup intéressé à l’histoire toute récente et a aussi dessiné en 1833, une autre composition représentant Une séance à la Convention nationale, plus précisément la nuit du vote de la mort de Louis XVI. Cette ouvre est acquise par Thiers, puis par Ledru-Rollin qui la rend à Chenavard quand il doit partir en exil ; elle est exposée au Salon de 1853 et c’est peut-être à cette occasion que le Prince-Napoléon l’acquiert. Il n’est actuellement pas possible de savoir ce que le cousin de Napoléon III en a fait. On sait seulement qu’elle est de nouveau montrée en 1889, lors de l’Exposition centennale de l’art français.
S’il n’a jamais été proche d’aucun régime politique, c’est quand même sous le Second Empire, alors qu’il est en plein force de l’âge, que Chenavard se prend à rêver des bâtiments et des monuments qui n’auront pour seuls buts que l’embellissement de la Ville de Paris, le centre de la France et du monde, pour l’empereur et son préfet de la Seine, mais aussi pour l’élévation intellectuelle et culturelle du peuple.
Malheureusement pour lui, l’Empire ne semblant pas suivre ses idées, tous ces projets, des plus simples aux plus formidables sont restés enfermés dans des cartons, finalement détruits par Chenavard lui-même, ou aujourd’hui dispersés.
L’objectif de ce travail de recherche est d’établir un catalogue raisonné des oeuvres graphiques de Chenavard, présentées par ordre chronologique, c’est-à-dire les dessins qui sont connus, en particulier ceux conservés dans les collections publiques, et surtout celle du Musée des Beaux-Arts de Lyon, la plus importante car formée grâce aux dons de l’artiste lui-même, mais aussi ceux qui sont restés inconnus, comme les quelques projets de sculptures et d’architectures, car ils nous montrent un Chenavard comme on ne le connaissait pas encore.
Différentes études complémentaires du catalogue montreront les problèmes posés par les dessins (datation, techniques, thèmes destination), mettront en ordre les connaissances sur le grand projet du Panthéon, et feront une présentation des divers projets que l’artiste a proposés tout au long de sa vie, tant en ce qui concerne les toiles et les peintures murales que les sculptures et l’architecture, en rapport avec les idées et les influences du XIXe siècle.
- Juliette GLIKMAN : Symbolique impériale et représentation de l’histoire sous le Second Empire. Contribution à l’étude des assises du régime (Second Empire)
Thèse placée sous la direction du professeur Alain Corbin
Paris I-Panthéon-Sorbonne
Le régime impérial a façonné une symbolique originale du pouvoir, rattachée à une tradition historique réinventée. Entre monarchie populaire et république couronnée, l’Empire a l’ambition d’inaugurer une nouvelle ère, en intégrant les formes de la monarchie et les principes de la république. Cet imaginaire politique se révèle par le recours au mythe antique qui, par-delà le passé monarchique et républicain, tend à consacrer les institutions du nouveau régime, non en tant que personnification de l’ouvre du temps, mais comme régime originel du peuple français. L’ordre impérial ne serait pas né au hasard d’une aventure politique, mais se révélerait comme réalisation d’une virtualité permanente de l’espace français. À travers la composition d’une Antiquité imaginaire, trois plans seront pris en considération : compilation du savoir historique, par la quête de la reconstitution scientifique de l’imprégnation romaine du territoire français (fouilles archéologiques notamment) ; conte fabuleux (Rome aux origines de l’histoire de France, qui par l’instauration de l’Empire renoue avec la forme originelle d’organisation politique) ; le passé comme réponse aux contradictions présentes (émergence à partir des années 1862-65 de la figure de César comme incarnation de la dignité impériale, tentative de préserver l’intégrité originelle de l’autorité du souverain, dont le monopole est menacé par l’évolution parlementaire, qui promeut une représentation concurrente à celle de l’Empereur).Le maniement de l’histoire va bien au-delà de la simple instrumentalisation. Né d’un coup d’Etat, le régime souffre d’un déficit de légitimité, que ne peut effacer la sanction plébiscitaire. La loi positive, inscrite dans l’ordre empirique, paraît un critère insuffisant de légitimité. Si la seule Constitution, même ratifiée par le suffrage universel, était jugée impropre à structurer la légitimité du nouveau régime, la représentation de l’Empire français comme translation décalée de la Rome impériale n’était-elle pas destinée à combler l’absence d’un ordre normatif supérieur ?
L’Empire s’est-il perçu comme une innovation politique, en rupture avec le passé national, ou a-t-il tenté de s’inscrire dans un processus de continuité ? Le refus de constituer un corps de doctrines synthétisant le bonapartisme (terme qui aurait probablement été rejeté comme illicite par Louis-Napoléon) induit le régime à préférer le terme abstrait d’ « idée » napoléonienne. Il peut être réducteur de limiter la fondation impériale à l’alliance de l’autorité et de l’ordre. Ainsi, le régime a tenté de se réapproprier la force traditionnelle des anciennes dynasties, apte à fonder le nouvel ordre, dont l’avènement ne devait pas être imputé exclusivement à la peur sociale, à la recherche de garantie de stabilité et de conservation des intérêts. D’où le recours à des traditions supposées vénérables, capables de cristalliser le sentiment d’adhésion affective. L’invention de la tradition impériale va conduire à fusionner des référents à l’origine dissemblables, la mémoire du passé monarchique et le mythe romain, auxquels se mêlent les souvenirs révolutionnaires.
La symbolique impériale naît d’un syncrétisme historique, destiné à favoriser une adhésion durable en faveur du nouvel ordre, que ne pouvaient nullement garantir les résultats ponctuels des plébiscites de 1851 et 1852. L’Empire proclamé, il faut désormais fortifier les institutions impériales, afin qu’elles survivent à leur fondateur. La fidélité à l’égard du Sauveur, de l’homme providentiel vainqueur de l’anarchie, flattée au lendemain du 2 décembre, risquait de devenir un obstacle dans la perspective de transmission héréditaire d’un pouvoir charismatique. De même, le recours exclusif et systématique à la légende impériale pourra être interrogé, voire relativisé. En effet, la représentation d’une autorité catalysée par usurpation du charisme de Napoléon 1er était surtout le fait des adversaires du régime, de Guizot à Ferry. Si Louis-Napoléon Bonaparte a cultivé la mémoire de son oncle, on pourra se demander si la filiation vis-à-vis de l’épopée fut constante et systématique. Tout autant fondateur à partir de la naissance du Prince impérial d’une nouvelle dynastie qu’héritier lui-même de la gloire de son oncle, il sera fondamental d’étudier la façon dont le souverain va s’inscrire au sein du processus historique, alors que des estampes l’intègrent à la série des rois de France, inaugurée par Pharamond.
L’Empire n’a cessé d’être confronté au dilemme de son inscription dans la longue duré de l’histoire. « Une génération ne peut assujettir à ses lois les générations futures ». L’article 28 de la Constitution jacobine de l’an I trouve un lointain écho dans le préambule de la Constitution du 14 janvier 1852 qui, au nom du jugement souverain de la nation, proclame le droit du peuple à retirer sa confiance au chef de l’état. L’exploration de la représentation de l’histoire par le Second Empire, l’élaboration d’une symbolique au service des impératifs politiques étaient vouées à forger un langage politique susceptible d’inscrire dans la pérennité la nouvelle souveraineté impériale, en transcendant les contingences historiques.
Le Second Empire est souvent perçu comme une restauration du Premier, plus qu’une construction originale. La confusion était voulue par le fondateur même du régime qui prétendait, selon les termes inscrits au fronton de la Constitution du 14 janvier 1852, « prendre comme modèle les institutions qui déjà, au commencement de ce siècle, dans des circonstances analogues, ont raffermi la société ébranlée et élevé la France à un haut degré de prospérité et de grandeur ». Une symbolique originale du pouvoir n’en a pas moins été mise en place, afin d’enraciner l’idée impériale dans la durée. Sans être le sujet exclusif de ce projet, la mise en scène de la filiation antique par le régime en sera le fil conducteur, agissant comme révélateur d’une certaine appréhension de l’histoire, conçue comme cyclique (retour d’un âge d’or mythique), bien plus que comme déroulement linéaire. Si l’Empire a succédé à la tradition monarchique, il nie en être l’aboutissement. Les références romaines sont abondantes lors de l’instauration de l’Empire, de la poésie (Le Testament de César de Jules Lacroix en 1849) au droit (à commencer par les écrits du futur président du Sénat, Troplong). La construction du mythe des origines de l’Empire français devra être distinguée de la progressive émergence de la figure de César, qui culmine dans les années 1865-1866 avec la parution de la biographie du général romain par l’Empereur, donnant lieu à de multiples pamphlets et libelles. La figure de César n’aurait-elle pas été destinée à incarner une image idéale et abstraite de l’Empereur, non plus identifiable par une attitud e historique (manteau impérial, sceptre, urne électorale), mais identifiable en tant que figure générique, incarnation de l’immortalité de la dignité impériale ?La recherche exploitera des documents jusqu’ici peu étudiés, dans la mesure où ils révèlent des vues partisanes en faveur de l’Empire. C’est le cas des voeux et adresses (Archives nationales : fonds F1/CI, esprit public, F/70, ministère d’Etat, O5, maison de l’Empereur) et des louanges (Bibliothèque nationale et Bibliothèque historique de la ville de Paris) dédiées à Louis-Napoléon Bonaparte. Peut-on se contenter en effet de classer comme exercice de pure propagande ces écrits, manuscrits ou imprimés, même si des fonctionnaires aux ordres ont pu les utiliser, en publiant des extraits conformes aux attentes du pouvoir dans des publications officielles, tel le Moniteur universel ?
L’élaboration d’une typologie différenciant les thèmes majeurs permettra de discerner la compréhension de l’idée impériale et son évolution, sans se focaliser sur le problème de la spontanéité ou du caractère commandé de l’opération. De même, sont intégrés au corpus les pamphlets et brochures de publicistes thuriféraires de la cause napoléonienne (Eugène Duverger, Edmond de Beauverger, Louis Couture, Adolphe Granier de Casagnac, Alexandre Weil), même si cette production est quantitativement inégale tout au long de la période. Le travail d’exhumation du sentiment impérial apparaît d’autant plus nécessaire que l' »idée impériale » n’est principalement étudiée que dans la perspective du passé républicain de la France. L’historiographie française a privilégié l’étude de la crise impériale de la pensée républicaine, traumatisée par l’émergence de l’arbitraire d’un prince qui abat la République au nom de la souveraineté du peuple. La notion de renouveau impérial devra être confrontée avec la tentation d’inscrire le régime au sein de la continuité historique française (par exemple, évocation de la quatrième dynastie). Le regard des partisans de l’Empire permettra à une autre chronologie de la période de se dessiner. La dénomination même de « Second Empire » sera interrogée, construction a posteriori peu utilisée par les bonapartistes, dans la mesure où les défenseurs de la restauration impériale, dans les semaines qui ont précédé le 2 décembre 1852, la décrivaient comme la proclamation d’une légalité certes interrompue par la défaite de 1815, mais jamais abolie de par la volonté du peuple. Le même Empire français se succédait à lui-même.
Les sources iconographiques ne devront pas être négligées. La recherche ne devra pas conduire à une analyse exhaustive de la représentation du souverain. Les estampes, peintures, médailles conservées principalement à la Bibliothèque nationale, au cabinet des arts graphiques du musée Carnavalet, les sculptures destinées à orner les façades du nouveau Louvre auront trait, selon la distinction élaborée par Louis Marin, à la représentation de l’histoire, et non à l’histoire représentée. Le problème de la véracité historique de la scène sera écarté, la peinture d’histoire ne sera pas retenue. Seront privilégiées les images allégoriques (par exemple, Napoléon III écrasant un dragon aux acclamations du peuple et de l’armée) et les représentations imaginaires, telles que le souverain en costume de sacre. En outre, l’iconographie officielle diffusée par le biais des célébrations officielles ne s’impose pas à un corps social passif, qui aurait subi de manière autoritaire cette orthodoxie iconographique. Certaines archives révèlent le regard porté sur le régime hors des circuits officiels, mais non contre eux. Dépourvues de vocation artistique, ces ouvres n’ont bénéficié d’aucun souci de conservation, et les originaux ont aujourd’hui disparu. Deux catégories seront distinguées. D’une part les constructions monumentales éphémères : monuments du camp de Châlons, élevés par les régiments de passage au camp de manœuvres de l’armée française, connus grâce à des albums de photographies conservés au musée de l’Armée ; arcs de triomphe des entrées impériales, à vertu pédagogique, destinés à associer sentiment de cohésion nationale et fidélité dynastique. D’autre part, les projets de monuments, esquisses d’artistes besogneux ou de simples particuliers, sont susceptibles de nourrir une analyse sur l’interprétation et les transformations de la représentation de l’idée d’Empire.
L’apparence visible du pouvoir pose problème à un État révolutionnaire moderne, alors que la monarchie donnait à l’État un visage concret. L’Empire a pu emprunter à la monarchie sa tradition figurative de représentation du pouvoir par un visage familier (politique de propagation observable par la consultation de la base Arcade du CARAN, qui recense les dossiers de commande et d’achat par l’État des œuvres d’art). Néanmoins, l’émergence du corps national, lié en un tout organique, empêchait tout dirigeant se revendiquant de l’héritage de 1789 de monopoliser l’incarnation de l’État. D’où la quête par le régime impérial de stratégies alternatives.
J.G.