Remise de la Légion d’honneur à Michel Dancoisne-Martineau
Ce 12 octobre 2016, dans un salon du Quai d’Orsay, M. Christian Masset, secrétaire général du ministère des Affaires étrangères, a remis à M. Michel Dancoisne-Martineau, directeur des Domaines nationaux de Sainte-Hélène, les insignes de chevalier de la Légion d’honneur dans une ambiance intime et en présence notamment de SAI la Princesse Napoléon et de M. Victor-André Masséna, prince d’Essling. La Fondation Napoléon félicite le récipiendaire.
Voici son discours de réception dans l’Ordre créé par Bonaparte en 1802.
Madame [SAI la Princesse Napoléon],
Monsieur le Secrétaire Général [Christian Masset],
Madame la directrice général, [Hélène Farnaud-Defromont]
Prince [Victor-André Massena],
Messieurs les Ambassadeurs et directeurs,
Mesdames, Messieurs et chers amis,
Cette distinction m’honore à un très haut point car je ne la conçois que comme la marque de ce que vous tous, ce soir, m’avez accordé : « la confiance ».
À commencer par Son Altesse Impériale la Princesse Napoléon.,
C’est en effet vous, Madame, qui m’avez encouragé à poser ma candidature à la responsabilité des Domaines de Sainte-Hélène, il y a trente années de cela.
Vous savez que j’ai pour votre personne et votre Famille le plus profond respect. Mais j’ai aussi l’honneur de pouvoir dire que ces sentiments se sont mués, au fil de nos rencontres, en une réelle, profonde et non moins respectueuse amitié. Je vous serai toujours reconnaissant de m’avoir offert votre soutien et vos encouragements autant dans mes efforts à préserver la mémoire de Napoléon Ier à Sainte-Hélène que dans mes travaux picturaux, voire dans ma vie privée. Qui plus est, vous êtes, Madame, une de ces hautes personnalités, mais aussi une de ces amies loyales qui me font chaque jour comprendre que la confiance a un prix : celui d’en être digne.
En disant cela, je pense aussi à vous, Monsieur l’ambassadeur Serge Mucetti. Lorsque vous étiez encore au Service du Personnel du Ministère des Affaires étrangères, vous avez suffisamment eu confiance en moi pour me faire signer mon premier contrat de travail. Je peux aujourd’hui le dire, durant mes premières années à Sainte-Hélène, ce fut bien pour justifier cette confiance et même pour vous épater que j’entrepris de restituer – après cent cinquante ans d’oubli – les seuls jardins que Napoléon ait jamais dessinés et ressuscité la forêt du Val de la Tombe.
Bien entendu ce choix que vous fîtes ne put se faire qu’avec l’accord de Gilbert Martineau qui accepta de me former sur place pour découvrir la gestion comptable et administrative d’un poste diplomatique et de partager avec moi ses connaissances acquises sur l’histoire de Napoléon à Sainte-Hélène. Pour reprendre une analogie souvent employée, il a été ma catéchèse pour la Passion Napoléon.
Je ne m’illusionne pas et connais parfaitement mes limites. Après la mort de mon père adoptif, trois personnes ont cependant su le suppléer. Ils surent me convaincre de rester à Sainte-Hélène. Car même si l’île du début (pour ne pas dire du bout) du monde m’apparaissait déjà comme la perle de la mer ou l’émeraude des entrailles de la terre, je ne pensais pas avoir les aptitudes scientifiques qu’imposait cet emploi.
1- Jean-Paul Kauffmann [il est à Venise et s’excuse de ne pas être des nôtres ce soir] a réussi l’exploit de dépoussiérer un sujet rendu très noir par plus d’un siècle de légendes si bien qu’on avait fini par ne plus rien y voir. À une époque de ma vie qui me portait vers d’autres rivages que ceux de Sainte-Hélène, Jean-Paul est celui qui se battit pour me convaincre et me permettre de rester dans l’Atlantique sud afin de veiller sur la relique maléfique de la Passion Napoléon.
2- Bernard Chevallier qui, à la mort de Gilbert Martineau, s’obstina avec autorité en tant que directeur du Musée national des châteaux de Malmaison et Bois-Préau, à me motiver et à reprendre courage. Grâce à lui, je ne restai pas seul. Il connaissait le rôle de mentor qu’avait tenu Gilbert. Il ne prit pas sa place, mais compléta généreusement ma formation. Bernard m’initia à la conservation et m’apprit que, contrairement à ce que le mot « conservateur » évoque de conservatisme, cette fonction impose une constante remise en cause de nos connaissances et de nos méthodes. C’est ce que je fis en étudiant d’une manière exhaustive le sujet très ciblé de Napoléon à Sainte-Hélène. La présence ce soir de son successeur, Amaury Lefébure, m’honore au plus haut point. Malmaison, Bois-préau, l’île d’Aix, Ajaccio sont les fleurons des habitations napoléoniennes en France. Sainte-Hélène, hors de France, en est leur finalité. Comme Bernard avant lui, Amaury a accepté de me faire confiance et de poursuivre avec moi le travail.
3- Autre absent de cette soirée : Thierry Lentz. À son arrivée à la direction de la Fondation Napoléon, tout changea. Thierry s’allia à Bernard pour me pousser à travailler afin de produire des études scientifiques rendues nécessaires par notre objectif devenu commun. Je sus tout d’abord résister à la seule pression de Bernard, mais à partir de 2000, je ne pesais plus lourd contre eux deux. [Tous ceux qui ont été confronté au talent de persuasion de Thierry comprendront]
En me demandant d’utiliser beaucoup moins fréquemment la scie tronçonneuse et les outils de jardinage pour les remplacer par ceux de traitement de texte et de recherche, ils me lancèrent un défi incroyable : replacer dans la mémoire collective une île dont le nom restera à tout jamais associé à celui de Napoléon. Ce n’était pas tout de vouloir diffuser l’image de Sainte-Hélène et de la sortir de son brouillard. Il fallait que nous sachions nous-même de quelle image nous devions parler car c’était bien peu que de dire qu’elle était brouillée. S’ils me laissèrent seul faire ce travail, ils surent toujours être là aux moments opportuns et furent d’extraordinaires guides.
En 2005, Victor-André Masséna, prince d’Essling succéda au Baron Gourgaud à la Présidence de la Fondation Napoléon. Non seulement il valida ce que nous avions entamé mais il apporta à l’édifice sa force de combat. Il devint le chêne au tronc duquel je pouvais m’adosser durant les périodes de tempête. La Fondation cessa d’être un soutien. Elle devint une équipe de combat. Merci Alexandra Mongin et Pierre Branda d’être là ce soir, SVP, remerciez Chantal Prévot, Irène Delage, Brigitte Claré, Marie de Bruchard, Elodie Lefort, Peter Hicks, François Houdecek et Rebecca Young pour moi et dites-leur bien combien ils m’importent. Avec cette force de frappe, nous devions travailler non seulement à partager et à faire connaître Sainte-Hélène mais à restaurer et reconstruire un patrimoine.
Bien entendu, cette résurrection – pour reprendre le vocabulaire christique auquel Sainte-Hélène est accoutumée – n’aurait pu être aussi éclatante sans les centaines de donateurs dont les trois plus généreux d’entre eux que sont Alain et Patrick De Pauw et Laurent Burelle qui, eux aussi, nous ont fait confiance.
Mon travail et ma vie à Sainte-Hélène ne font qu’un. Ma mission n’a pas que dessiné les contours de ma vie, elle l’a conditionnée. Il y a du sacerdoce dans cette affaire. Mes meilleurs amis le sont devenus à cause ou grâce à mes fonctions sur l’île : Annie Meunier, Céline Gautier, Paskalita Francheteau, Jean et Viviane Huet, Jean-Paul Mayeux, Pascal Laparlière et Frédéric Barbut. Seule exception d’importance à cette règle commune : mon époux, J.J., qui, en découvrant Sainte-Hélène, il y a maintenant près de vingt ans, a non seulement accepté de partager mon quotidien sur l’île mais aussi de m’aider, d’alléger ma charge et d’être l’élément stabilisateur de ma vie.
Et puis bien entendu, je pense aussi ce soir à ma meilleure complice, Susan O’Bey et à tous mes amis Héléniens trop nombreux pour les nommer grâce à qui ma place dans la société hélénienne est un véritable bonheur au quotidien.
Lorsque j’appris que, par décret pris sur la proposition de Monsieur le Ministre des Affaires étrangères et du Développement international, Monsieur Jean-Marc Ayrault, j’avais été nommé chevalier de l’Ordre national de la Légion d’honneur, ma première réaction fut un grand soulagement.
Comme je vous l’ai déjà dit, je ne cesse de douter, de manquer d’assurance. Et, il faut bien l’admettre, ce n’est pas là le profil idéal d’un employé dont la fonction ne peut être qu’accomplie de manière empirique car indéfinissable. Oui, cette distinction m’a rassuré sur la façon dont j’ai conjecturé la gestion, l’intendance, la conservation et l’animation historique des domaines. La confiance se mérite. Elle se gagne avec le temps. Elle s’établie dans la durée. La plus remarquable marque de confiance que le Département me fit, fut d’accepter de faire, à titre exceptionnel et dérogatoire, une entorse à la règle absolue de la mobilité de ses agents. Et je pense plus particulièrement à Jean-Paul Monchau qui a suivi longtemps mon dossier et que je remercie très sincèrement.
Depuis cette décision, honorer cette confiance devint mon Credo. Il me fallait prouver que mon poste ne pouvait être géré que dans la durée sans laquelle le travail avec l’équipe de Malmaison, de la Fondation Napoléon puis de la conservation du Musée de l’Armée n’aurait pu être possible. Valoriser les domaines nationaux de Sainte-Hélène ne peut se faire sans les connaitre, sans en décortiquer tous les aspects et sans en étudier le moindre détail.
Mon ambition était de faire en sorte que le Département puisse être fier de nos domaines nationaux et de leur rayonnement international et, plus prosaïquement, de transformer en pépite ce poste souvent perçu comme un caillou dans une chaussure. Même s’il ne pourra probablement jamais parfaitement entrer dans le « moule » d’un poste diplomatique, Sainte-Hélène devient cependant de plus en plus séduisante. J’en veux pour preuve les courriers que je reçois régulièrement depuis trois ans me demandant la date à laquelle mon poste se libérera. Cette ambition fut partagée dès 2003 par Jean-Marc Daniel et, sans discontinuer depuis, par ses successeurs à la tête des affaires immobilières du Département. Jean-Marie Bruno, Christophe Penot et Graham Paul furent pour moi de véritables guides et d’indéfectibles soutiens. Avec eux, bien entendu, le service du patrimoine avec Dominique Richard puis Isabelle Denis qui furent toujours extrêmement enthousiastes et protecteurs à mon endroit. Je ne pourrai pas citer tous les autres, dans toutes les directions, qui sont ensuite venu soutenir nos projets, qui à certains moments étaient un peu des rêves. J’aurai simplement un mot supplémentaire pour Monsieur l’ambassadeur Jean Mendelson qui, comme la Garde impériale, a « donné » au moment crucial et, de surcroît, a été un des grands conseillers de la ligne droite qui nous a menés à la mise en place d’une nouvelle organisation, avec de nouvelles ambitions.
Chaque jour, grâce à cette attention et ces soutiens, j’ai senti grandir en moi la fierté d’appartenir à cette grande et séculaire administration.
Alors qu’une très grande partie des meubles exposés aux Invalides est déjà de retour à Longwood House, toutes les orientations de nos futures activités sur l’île sont suspendues dans l’attente de l’ouverture – ou pas – de l’aéroport.
Inaccessible au public, l’île était condamnée administrativement et médiatiquement à l’obscurité. Au secret. Cette image de mystère correspondait à l’attente des associations napoléoniennes et aux passionnés de cette période de notre histoire. Ses composantes étaient l’inconnu, l’interprétation, l’opacité, l’énigme. Toutefois, avec l’exposition des Invalides de cette année et les activités liées au bicentenaire, la nébuleuse dans laquelle son isolement l’assujettit n’est plus une fatalité. Grâce à vous tous ce soir et à ceux, absents, que j’ai mentionnés, Sainte-Hélène et nos domaines qui s’y trouvent se dirigent vers la pleine lumière. Tout dévoiler, exorciser le mystère, normaliser est la prochaine étape que je me suis assigné. En terme plus administratif, cela s’appelle normaliser un poste.
Monsieur le Secrétaire général, Madame la directrice générale de l’administration et de la modernisation, je souhaiterais conclure ici en vous remerciant d’avoir accepté de me soutenir dans ce moment aussi agréable que difficile [ceux qui me connaissent savent à quel point j’aime les prises de parole en public…]. Il y a trente ans, je n’aurais jamais pensé qu’il fût possible que mes plus grands chefs prennent sur leur temps pour être à mes côtés. Je mesure l’honneur que vous me faites qui est aussi le témoignage du chemin parcouru, non pas par Michel Dancoisne-Martineau, mais par les Domaines nationaux de Sainte-Hélène. Je porterai donc cette décoration avec fierté et comme l’expression de votre confiance pour m’avoir désigné à une mission qui pourrait se résumer en cette phrase : défier les éléments hostiles pour transformer une maison mal construite sur le haut plateau d’une île coupée du monde toute entière plongée dans l’obscurité de la légende noire de Napoléon, en un patrimoine historique dont notre République peut être fière.
Je vous remercie de votre attention.
Michel Dancoisne-Martineau, directeur des Domaines nationaux de Sainte-Hélène
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