Bourses d’études 1998

BOURSE D’ÉTUDES PREMIER EMPIRE

  • Laurence CHATEL DE BRANCION : Cambacérès

    Thèse de doctorat d’histoire moderne et contemporaine
    Directeur de recherches : Monsieur Jean Tulard
    Université Paris IV – Sorbonne

    Jean Jacques Régis Cambacérès a été juriste, avocat, conseiller à la Cour des Aydes du Languedoc, député à la Convention, président du comité du Salut Public, président assurant l’intérim lors des absences de l’Empereur, présidant le Conseil des Ministres, le Conseil d’Etat, le Sénat et le Conseil Privé, Président du Conseil de Sceau des Titres, Membre de l’Institut, Grand Aigle de la Légion d’Honneur, grand dignitaire de la plupart des ordres européens, Prince français, duc de Parme· Prieur de la Confrérie des Pénitents Blancs de Montpellier, Grand Maître adjoint du Grand Orient de France, Souverain Commandeur du Suprême Conseil du rite Écossais Ancien et accepté, Grand Maître du rite Écossais Philosophique… Pierre angulaire du Code Civil et des divers Codes qui l’ont suivi, promoteur de l’organisation judiciaire de la France…Tout cela ? Étonnant, répond la tradition historique : Cambacérès n’était qu’un homme fat, pusillanime, jouisseur, paresseux, vendu au plus offrant…

    La tradition historique n’a pas connu Cambacérès au temps de son pouvoir : circonspect et prudent il ne s’affichait pas. Elle a par contre en mémoire les caricatures qui paraissent en 1814 et qui vont fixer l’image de l’archichancelier, l’alourdissant même de morgue fastueuse et d’homosexualité ridiculisée.

    La Restauration écrit la première histoire de l’Empire… et organise ce qu’on appellerait aujourd’hui « un assassinat médiatique  » de l’ex-archichancelier.

    Le Moniteur Universel du mardi 16 mars 1824, détaillant le partage de l’immense fortune de Cambacérès mort quelques jours auparavant, termine son article par ces mots : « On assure que M. Cambacérès laisse des Mémoires… Ces Mémoires auront d’autant plus d’intérêt qu’ils seront, dit-on, accompagnés de pièces et de notes remarquables que M. Cambacérès avait conservé en sa possession. » Le gouvernement de Louis XVIII tentera de saisir les archives du défunt. Les héritiers s’opposeront avec véhémence à cette mesure d’exception. A la suite d’un long procès qui fera jurisprudence pour les archives des hommes politiques, les Mémoires, certaines correspondances et de nombreux dossiers sont transmis à Hubert de Cambacérès.

    Ce sont ces archives, pour la plupart inédites, qui forment la substance de cette thèse.

    Les Mémoires intitulés Éclaircissements publiés par Cambacérès sur les principaux événements de sa vie politique sont dictés par Cambacérès à son secrétaire Lavollée, entre 1814 et 1824 et suivent un plan chronologique : Révolution, Consulat, Empire. Sur un brouillon retrouvé récemment, Cambacérès décrivait son projet de Mémoires par ces quelques mots : « écrire comme un témoin qui dépose. si peu de détails sur la naissance, l’éducation, la vie privée, ne rapporter de ces divers (mot illisible) que les faits, les circonstances, qui peuvent donner quelques lumières sur le caractère de l’homme public et répandre du jour sur les événements de sa carrière politique … ». Les Éclaircissements sont exactement cela : une relation la plus objective possible de sa carrière politique, témoignage unique d’un acteur de premier.

    La première mission de cette thèse consiste à établir un texte définitif de ces Mémoires et à en assurer l’annotation critique.

    Mais ce n’est pas suffisant car Cambacérès pèche souvent par omission dans les Éclaircissements. Il convient donc de compléter la recherche par le recours à de nombreuses archives complémentaires conservées en mains françaises ou dispersées à l’étranger (USA et Japon) par les descendants des héritiers de Cambacérès. Même si, l’archichancelier, en politique confirmé soucieux de l’histoire, a soigneusement détruit lorsqu’il en a eu la possibilité certains documents compromettants, il reste des dossiers extrêmement importants relatifs notamment au code civil, ou à la franc-maçonnerie depuis son adhésion vers 1770.

    Il faudra en un deuxième temps retrouver et exploiter ces archives complémentaires.

    De tout cela ressort une personnalité riche, très différente des clichés propagés par Aubriet, premier biographe de Cambacérès et reproduit par la suite : juriste habile mais parvenu aux moeurs dévoyées et à l’immense fortune.
    Or J.J.R. de Cambacérès est un aristocrate languedocien, d’une famille de noblessse de robe ancienne bien alliée et riche. Franc-Maçon et Pénitent Blanc, pétri de cette sociabilité décrite par M. Agulhon, il aborde la Révolution en jurisconsulte érudit et libéral, très enthousiaste réformateur des abus du pouvoir monarchique absolu. Il abandonne définitivement la particule de son nom.
    1793 entraîne Cambacérès dans sa violence. Il exerce à la Convention ses talents d’expert en droit qui le font considérer par tous les partis sans qu’il s’attache à un seul.
    Il élabore trois projets de Code Civil et accède au pouvoir politique après Thermidor. Son seul objectif : la paix intérieure et extérieure. Il y parvient en partie, mais, non régicide, le Directoire l’exclut. Il emploie ce purgatoire politique à étoffer de complexes et puissants réseaux personnels.
    C’est cet homme de consensus, qui bannit l’exclusion, que Bonaparte choisit comme second en 1799, pour travailler à l’oeuvre de reconstruction du Consulat fondée sur ce système de fusion, ennemi de l’idéologie.

    Pendant quinze ans, Cambacérès sera le collaborateur civil le plus précieux et le mieux payé.

    Compétent, discret avec toutes les qualités qui font de lui le second fiable et intime, Napoléon Bonaparte utilise Cambacérès comme administrateur de la France quand il est en campagne, conseiller, consultant en recrutement de cadres supérieurs pour l’État, expert en organisation et administration pour les grands ministères publics, premier conseil juridique du pays, porte parole devant les Assemblées nationales et porte symbole devant les groupes de pression telle la franc-maçonnerie, exécuteur des basses, médiateur dans les conflits de la famille impériale, témoin officiel de la naissance du prince héritier, factotum pour régulariser la situation de ses enfants naturels.

    Napoléon Bonaparte confie beaucoup à Jean Jacques Régis Cambacérès qu’il surnomme parfois en l’interpellant : « la sagesse des Nations ».

    La dernière tâche de ce travail est de faire la synthèse de ce très important fond d’archives et de lui adjoindre une iconographie toujours si révélatrice.

    Laurence Châtel de Brancion a une formation de philosophe.
    Elle reprend des travaux historiques après avoir été chef d’entreprise dans une société industrielle fabriquant des matériaux de très haute technologie. Elle a par ailleurs monté une galerie d’art contemporain.
    Elle soutiendra sa thèse en 1999 pour le bicentenaire du Consulat.

BOURSE D’ÉTUDES PREMIER-SECOND EMPIRE

  • Laetitia DE WITT : Le prince Victor
    Thèse d’histoire contemporaine
    Directeur de recherche : Monsieur Jean Tulard
    Université Paris IV – Sorbonne

    Il faut tout d’abord situer le prince Victor. Il est le petit-fils du roi Jérôme, le dernier frère de Napoléon Ier, et de Catherine de Würtemberg. C’est pour servir la politique de l’Empereur que Jérôme avait épousé en secondes noces Catherine de Würtemberg. Ensemble ils eurent trois enfants : le prince Jérôme Bonaparte, mort d’une maladie grave en 1847, la princesse Mathilde et le prince Napoléon-Joseph qui, après la mort de son frère, reprit le nom de Jérôme. Pour se moquer de lui, on le surnommait Plon-Plon. Sous le Second Empire, en 1859, cette fois-ci pour servir la politique italienne de Napoléon III, le prince Jérôme épousa la princesse Marie-Clotilde de Savoie, fille de Victor-Emmanuel de Savoie et d’Adélaïde de Habsbourg. De cette union naquirent trois enfants : Victor en 1862, Louis en 1864 et Laetitia en 1866. Le prince Victor est donc le petit-fils de deux rois : Jérôme, roi de Westphalie et Victor-Emmanuel II, roi d’Italie à partir de 1861.

    Ses origines prestigieuses vont amener le prince Victor à jouer un rôle politique de tout premier ordre. Par le jeu des successions, le prince Victor devint le chef de la Maison impériale puisqu’il n’existait plus d’autre héritier mâle issu de Napoléon Ier ou de ses frères. En effet, le roi Joseph n’avait que des filles, Lucien avait été déshérité par Napoléon Ier et la branche de Louis s’éteignait en 1879 avec la mort du Prince Impérial. De ce fait, la branche de Jérôme Bonaparte se trouvait être la seule dynaste.

    À la mort du Prince Impérial, le chef de la Maison impériale aurait dû être le prince Jérôme. Or, à cause des idées politiques réactionnaires de celui-ci, le Prince Impérial avait notifié ceci dans le codicille de son testament : « Les devoirs de notre Maison envers notre pays ne s’éteignent pas avec ma vie; moi mort, la tâche de continuer l’oeuvre de Napoléon Ier et de Napoléon III incombe au fils aîné du Prince Napoléon ». Le Prince Impérial préférait donc Victor comme successeur. Cette volonté du Prince Impérial eut d’importantes répercussions. Tout d’abord, elle déclenchait une rupture irrémédiable entre le prince Jérôme et son fils Victor. Ensuite, elle faisait qu’à dix-huit ans à peine et indépendamment de sa volonté, le prince Victor devenait le représentant de la cause impériale. Il allait le rester jusqu’à sa mort en 1926. Pourtant, bien qu’il ait été le chef de la Maison impériale pendant une quarantaine d’années, le prince Victor a été totalement oublié par l’histoire.

    On peut donner quelques rapides explications à cet oubli. Le prince Victor vécut à une époque à laquelle porter le nom de Napoléon Ier n’était pas forcément un atout. Le Second Empire était encore proche et laissait un mauvais souvenir avec la défaite de Sedan. En outre, le prince Victor se retrouva à la tête de la cause bonapartiste par « hasard », il n’avait pas été préparé à cette fonction. Très vite, il fut bloqué dans ses possibilités d’action par la loi d’exil votée sous la Troisième République en 1886, loi qui l’éloigna de ses fidèles. Il n’avait pas eu le temps de se faire connaître et le parti bonapartiste était en plein déclin.

    La bibliographie quasi inexistante sur le prince Victor montre bien l’oubli dont il est victime. À part quelques ouvrages écrits sur lui de son vivant pour servir la propagande bonapartiste, aucun livre ne lui a été consacré. L’ouvrage le plus complet a donc été rédigé dans un but doctrinal par le biographe André Martinet, en 1895. Il manque donc toute une partie de sa vie. Pour combler ce vide bibliographique, il existe une source d’une grande richesse : le fonds Napoléon des Archives nationales. On y trouve la plupart de la correspondance du prince Victor, ainsi qu’une partie de ses papiers personnels et des photos servant la propagande. Les Archives de la Préfecture de Police sont également précieuses. En tant que prétendant à la cause impériale, le prince Victor était surveillé en permanence. On trouve des rapports de police le concernant des années 1884 à 1901. Sur la période d’après 1900, il existe d’autres archives mais à l’étranger : chez les Primoli à Rome et au Palais-Royal de Bruxelles.

    Le manque d’intérêt concernant le prince Victor est d’autant plus étonnant que la majorité des membres de la famille impériale ont inspiré de nombreux ouvrages et biographies. C’est pourquoi Laetitia de Witt souhaite combler ce vide historique et découvrir quelle était la personnalité du prince Victor mais surtout quel avait été son rôle politique à une période où la République s’installait définitivement. Dans le cadre de cette thèse, l’auteur compte approcher le prince Victor sous trois aspects.

    Dans un premier temps, l’auteur se penchera sur sa famille et sa personnalité. Dans un deuxième temps, c’est l’homme politique qu’a été le prince Victor qui retiendra fortement l’attention. En effet, la vie du prince Victor a été conditionnée par la politique et par ce qu’il représentait. La politique est à l’origine de sa rupture avec son père, de son installation à Bruxelles et donc de son mariage avec la princesse Clémentine de Belgique.

    La troisième partie de cette thèse découle de l’évolution politique du prince Victor et de sa nouvelle conception de la mémoire napoléonienne. Désormais, il se dévouera à l’idéologie napoléonienne non seulement par un soutien politique, mais aussi par un soutien historique et artistique. En fait, pour compenser le déclin du parti bonapartiste, le prince Victor va décider de se concentrer sur une oeuvre qui va occuper et passionner sa vie : entretenir et développer la légende napoléonienne, à travers, entre autres, la constitution d’une collection napoléonienne hors du commun.

    Laetitia de Witt a choisi de traiter ce sujet de thèse dans le prolongement de son travail de DEA, et de travailler sur le prince Victor par intérêt familial et en raison de sa capacité à accéder à des archives encore inédites à ce jour.